Ce message est très important contre au sujet de Niqab et Burqa
Lettre ouverte au Gouvernement du Québec
Objet: Plainte sur la loi portant sur le port des voiles de types burqa et niqab (PL62) et sur la motion sur l’islamophobie, présentée le 1er octobre 2015 par Mme Françoise David et adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale
À l’attention de : Philippe Couillard, Premier Ministre du Québec, Mme Stéphanie Vallée, la Ministre de la Justice, Mme Françoise David, la Chef du Parti Québec Solidaire ainsi que tous les députés de l’Assemblés Nationale
Samedi, le 24 octobre 2015
À qui de droit,
Mon nom est Jean-Yves Vachon. Je suis sourd dû à un accident survenue lorsque j’avais 6 semaines. En effet, ma mère qui devait aller faire quelques commissions, avait demandé à sa voisine de me garder durant ce temps. Pendant que je dormais sur le lit de la mère, la petite fille de celle-ci, âgée de 4 ans, m’avait prise dans ses bras. La mère était occupée à laver la vaisselle. Lorsqu’elle s’était rendu compte de l’absence de sa petite fille, elle s’était doutée de sa présence dans la chambre du bébé. Elle s’était écriée alors au loin de ne pas toucher au bébé, ce qui avait effrayé la petite fille qui m’avait alors échappé par terre. Au retour de ma mère, la dame lui avait tout expliqué l’événement, qui m’aura finalement causé plusieurs fractures au crâne ainsi qu’une sévère infection.
Il s’est passé plusieurs semaines avant que les médecins décident de me faire subir une importante opération risquant de me laisser plusieurs séquelles sur mon fonctionnement cognitif et mon développement et ce, pouvant même jusqu’à causer ma mort. Ma mère a donc choisit l’opération. Cette opération m’aura certainement sauvé la vie. Cependant, je suis alors devenu complètement sourd; ne pouvant donc plus entendre les voix des membres de ma famille me dire ou me chanter l’amour dont un bébé a besoin pour se sentir en sécurité. J’ai donc été aussi privé des connaissances de la langue parlée tels que l’intonation, les mots, les phrases, la syntaxe, le vocabulaire, etc. J’ai été privé des communications tels que les bruits ambiants, la radio, les silences, la télévision, etc. Moi, dans les premières années, j’ai dû apprendre à entendre avec mes autres sens, dont la vue. Seule ma vue brisait ce silence.
Ma mère s’est rendu compte de ma surdité rapidement. En effet, lorsqu’elle appelait ses enfants, mon frère, ma sœur et moi, j’étais le seul à ne pas retourner la tête en guise de réponse. Ma mère avait alors rencontré un audioprothésiste, qui l’a référé rapidement à d’autres services afin qu’elle puisse m’aider à prendre en charge ma nouvelle condition, tels que les services pour les sourds, les institutions pour les sourds et muets ainsi que les services d’orthoprothésistes, entre autres.
Suite à quelques visites, j’ai pu entendre les premiers sons avec l’aide d’une prothèse auditive. Ma mère m’a montré la prononciation des lettres de l’alphabet, me faisant ressentir les bruits de la voix en posant ma main sur sa gorge. J’ai eu beaucoup de difficultés avec les lettres à consonances similaires telles que les S et les X ainsi que les D et les T, entre autres. Tranquillement, j’ai réussi à prononcer des syllabes puis des mots. Cependant, la notion de l’apprentissage du français aura été pour moi beaucoup plus ardue que les personnes entendantes. J’apprécie énormément tout le dévouement de ma mère envers moi.
Dès l’âge de 3 ans, j’ai été placé dans un foyer avec un groupe de garçons sourds, près des sœurs religieuses réservé pour les femmes sourdes seulement. Cette institution avait pignon sur la rue St-Denis, aux côtés de l’Institut Raymond Dewar. Ma mère étant pauvre, elle ne pouvait malheureusement pas voyager à tous les jours. J’ai donc dû demeurer la plupart du temps, en foyer. Puis est venue la prématernelle. À cet endroit, j’ai pu m’intégrer aux filles. Malheureusement, les communications étaient extrêmement difficiles car je ne parlais ni le français ni la Langue des Signes du Québec. J’ai donc appris par moi-même, ces deux langues, en observant les autres.
La langue des Signes est enseignée par image. Par exemple, une image de porte représente un signe. Imaginez le nombre de signes à apprendre. Puis, le nombre de mots en français, qui coïncident avec les mots et les signes. Malgré le fait que très tôt, on m’a appris à écrire les lettres puis les mots, j’ai pris beaucoup de retard vis-à-vis des autres, qui me considéraient comme retardé et ce, malgré mon handicap auditif. J’étais coupé du contact avec les autres, tant des enfants de mon école que de ma propre famille car j’ai été en foyer presque toute mon enfance et mon adolescence.
J’ai appris à observer, à vivre en retrait de la réalité des entendants. J’ai appris à développer mes capacités visuelles, à apprendre en regardant les autres. J’ai appris à lire sur les lèvres, à lire les expressions du visage telle que la peur ou l’agressivité ainsi qu’à lire le paralangage, c’est-à-dire les mouvements du corps tel qu’un hochement de la tête pour dire oui par exemple. La nuit, je deviens aveugle. Je dois chercher le reflet de la lumière qui aide à ma lecture des expressions du visage et des mouvements des lèvres. Je fuie donc la nuit et je vis le jour. Ce sont toutes ces observations qui auront réussi mon intégration dans la réalité des entendants.
À ce jour, j’ai appris à parler seul. Cependant, je ne peux pas saisir exactement si la prononciation de mes mots est la bonne. Plusieurs gens me disent que oui et je continue de douter car je ne saurai jamais réellement. J'ai été dans l’obligation d’apprendre à parler afin d’avoir un niveau de vie agréable. Il est rare de rencontrer un autre sourd parlant la langue des signes. De plus, comme dans n’importe quelle langue, les sourds ont des capacités différentes de s’exprimer convenablement. Il est donc très difficile de mener des conversations à bien dans toutes les sphères de la vie d’un sourd.
J’étais quand même bien à l’école, car je pouvais communiquer avec mon professeur de Langue des Signes et il était simple de faire le pont entre la langue parlée française et la langue des signes. En dehors, je retournais dans ce monde coupé de contact, dans une réalité qui n’était pas mienne. J’avais besoin d’interprètes afin d’avoir accès à presque tous les services, car certains n’offraient même pas ce service d’interprétation tel que la santé, l’aide-juridique, l’école de formation, l’aide au travail, etc. Évidemment, j’ai compris rapidement que les services gouvernementaux avaient aussi des failles et que je ne connaitrais jamais les mêmes avantages que les entendants, qui reçoivent des services gratuits par la voix, quand les sourds doivent payer pour les services de l’image.
En conclusion, j’ai appris avec le temps à devenir un citoyen engagé dans ma communauté. J’ai appris à lire avec mes yeux et à communiquer avec mes mains. Je me suis impliqué dans la communauté des sourds du Québec et ai démontré beaucoup de courage et de persévérance afin de faire avancer la cause des Sourds au Québec. J’ai été le premier sourd à traduire la Charte des Droits et Libertés du Québec en Langue des Signes, ce qui m’aura valu le Prix des Droits et Libertés en 1998. Ainsi, pour la défense des droits des Sourds du Québec contre les obstacles dans la vie quotidienne chez les humains, parce qu’il était primordial à mes yeux que les Sourds vivent en pleine égalité avec le reste de la société québécoise tout en évitant leurs problématiques pour ce faire, j’ai reçu le Prix de la Justice en 1994.
Mon histoire personnelle touche plusieurs personnes Sourdes au Québec. Cette expérience d’handicap m’aura rendue la vie extrêmement difficile, tant dans mon apprentissage à devenir un citoyen actif et impliqué que dans mon apprentissage à être capable de communiquer avec tous les québécois. Car sans communication et avec une communication interférée et handicapante, mon rôle de citoyen devient par le fait-même incomplet, voir même impossible. Mon histoire est toujours d’actualité bien sûr. Je travaille fort pour les droits des sourds et je fais beaucoup de traductions afin d’informer les sourds sur l’actualité du Québec.
L’histoire sur la question du voile devient problématique non seulement pour les Sourds, qui ne peuvent même pas lire sur les lèvres ce que ces femmes veulent exprimer mais aussi pour tous les québécois, qui ne peuvent même pas lire leurs expressions du visage. Comment peut-on vouloir handicaper la société québécoise à ce point? Comment peut-on changer leur réalité du jour au lendemain, en légiférant sur ces voiles handicapant non seulement l’implication sociale des québécois mais aussi leurs communications? Comment peut-on me demander à moi, de revenir en arrière, me demander de trouver d’autres moyens de communiquer? Comment peut-on demander aux québécois d’apprendre un langage qu’ils ne connaissent même pas? Comment peut-on ne pas obliger ces femmes à apprendre l’importance d’être un citoyen dans une société de communication? Le port de la Burqa et du Niqab est non seulement handicapant pour la femme qui le porte et aussi handicapant pour la société québécoise. C’est l’avis d’un sourd, qui aura travaillé fort pour devenir citoyen du Québec.
Cordialement,
Jean-Yves Vachon
Texte adapté par Arianne Cassandre Paradis
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