Gaz de schiste : non merci !


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2011-06-12 16:52

Gaz de schiste : scénario pour un gazage programmé

Le 26 avril 2011

 

Nous relayons cet excellent texte. Ce n’est que le début...

Le jeudi 12 avril 2011, la mission d’inspection sur les gaz et huiles de schiste a remis aux ministres de l’Ecologie et de l’Economie son « rapport d’étape ».

Ce rapport, favorable à l’exploitation des GdS, a semé la stupeur parmi ceux des opposants qui s’étaient sentis rassurés par les apparentes reculades du gouvernement et par les projets de loi déposés à l’Assemblée nationale par les groupes PS et UMP, puis au Sénat, dans une touchante unanimité républicaine.

Ce rapport permet de se faire une idée claire de ce qu’est la stratégie de l’Etat et des industriels en vue de passer, en deux ou trois ans, à l’exploitation massive de cette énergie sur le territoire français. C’est un document d’une cinquantaine de pages, mais on peut se contenter de lire la Synthèse de trois pages qui le termine. Il n’y a pas à rougir : c’est sûrement ce qu’ont fait les ministres. Et ça dit tout.

Tout d’abord, afin qu’il n’y ait aucun doute sur la portée stratégique de ce texte, précisons qu’il a été rédigé par deux organismes, le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), qui sont placés sous l’autorité du ministre de l’Industrie pour le premier et de l’Ecologie pour le second. Autant dire qu’ils ont travaillé dans la bonne direction.

Par leur voix, c’est l’Etat qui parle, et plus précisément l’Etat dans son rapport aux industriels, c’est-à-dire au capital. Le CGIET, c’est l’ancien Corps des Mines. Le CGEDD, c’est ce qu’on appelait autrefois les Ponts et Chaussées. Ces gens-là savent de quoi ils parlent, et ils ont un intérêt particulier à ce que l’exploitation des GdS se fasse. Plus que d’un rapport, il s’agit donc d’un programme, ou d’un plan de bataille.

La question à laquelle il répond est simple : comment permettre l’exploitation massive des GdS, avec un minimum de contestation, et ce le plus rapidement possible.

La question n’est naturellement pas pourquoi exploiter les GdS : ça, on le sait déjà. La question est : comment ouvrir un boulevard aux industriels ?

Si notre hypothèse est juste (mais on peut se tromper), la stratégie choisie est la suivante : céder sur tout dans un premier temps, ou en donner l’impression, afin de désarmer l’opposition, et de pouvoir travailler en paix. Pour cela, on propose des solutions bien connues. Les aspects techniques sont secondaires, ce dont il s’agit, c’est d’arriver là où on veut aller.

Voilà comment on va s’y prendre :

Cacher les industriels derrière les scientifiques, afin de pouvoir commencer les forages Les industriels, que ce soient Total, GDF ou les « Américains », font peur. On sait de plus en plus que ces gens-là n’ont pas de moralité et ne visent que leur profit immédiat. Il faut escamoter les industriels. Il n’est donc pas du tout exclu, dans un premier temps, que les permis d’exploration déjà accordés leur soient bel et bien retirés. Cela semble même inévitable. La question est : vont-ils demander dédommagement en contrepartie des sommes déjà engagées pour ces explorations, et qui ne sont pas minces ? Et si oui, combien ?

Ce point a son importance, pour comprendre ce qui se trame. Il y a fort à parier que les permis seront retirés, pour rassurer l’opposition aux GdS, c’est-à-dire encore une fois l’endormir et la démobiliser, mais que les dédommagements demandés par les industriels seront faibles ou inexistants.

En gros, s’ils ne sont pas trop gourmands, cela signifiera clairement qu’on s’est mis d’accord pour remballer provisoirement le matériel en échange de la garantie de pouvoir entreprendre les forages d’exploitation, plus tard, dans un délai relativement bref.

Le rapport nous indique la durée de ce délai : « deux ou trois ans ». C’est sûrement ce délai qui a été négocié avec les industriels par les ministères concernés.

C’est aussi le temps qu’il nous reste pour nous battre.

Donc, masquage des industriels (du moins pour des projets d’exploitation affichés) derrière les scientifiques. On connaît le coup, celui de la neutralité de la recherche scientifique, on nous l’a déjà fait pour les OGM (sauf qu’un forage gazier, c’est nettement plus compliqué à désherber qu’un champ de maïs), on le fait pour les nanotechnologies, c’est rodé.

Ils sont tout prêts à reconnaître les difficultés et les incertitudes : on ne sait pas quelles sont les « ressources » ; il reste des problèmes à résoudre, tant pour ce qui est de la rentabilité que de l’impact sur l’environnement ; il y a, en somme, « des progrès à réaliser et des approches innovantes à susciter ». Et c’est justement pour ça qu’il faut faire des recherches. La meilleure façon de faire ces recherches, ce sont naturellement des forages « expérimentaux ». Si on n’essaie pas, comment savoir ce qui peut se passer ? C’est un peu la version kamikaze du principe de précaution.

Quelle est la différence entre des forages « expérimentaux » et des forages d’exploitation ? On ne sait pas bien. Il semble en tout cas que la fracturation hydraulique, dans un cadre expérimental, ne soit plus du tout si dangereuse, puisqu’on pourra l’utiliser, mais seulement dans ce cas-là.

Parce que si c’est pour la science, c’est forcément propre, maîtrisé, responsable. On va l’entendre : « L’expérimentation, ce n’est pas l’exploitation. » Et ça ne sera pas faux : un petit coup de fracturation tous les six mois, avec des produits choisis, etc. Rien à voir bien sûr avec une exploitation industrielle. Et c’est là tout le problème.

Quoi qu’il en soit, l’intérêt de l’opération est de mettre en place sur le territoire, de façon sûrement assez discrète, des forages « expérimentaux » de ce type. En petit nombre, pas tous en même temps, de façon à diluer la contestation. Ce seront peut-être les industriels qui s’en chargeront, mais sous le « contrôle » d’organismes autorisés, tous plus scientifiques et innovants les uns que les autres.

Quels organismes, au fait ?

Le rapport les cite nommément : « un Comité scientifique national, composé d’experts du BRGM, de l’IFPEN, de l’INERIS et d’universitaires ».

Une fameuse équipe :

Le BRGM : « Le Bureau de recherches géologiques et minières, placé sous la double tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement est l’établissement public de référence dans le domaine des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol. Il remplit cinq missions : recherche scientifique, appui aux politiques publiques, coopération internationale et aide au développement, prévention et sécurité minière et formation supérieure, avec l’Ecole nationale d’applications des géosciences (ENAG). »

Pour indication, le BRGM vient de signer avec l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) « un nouvel accord de partenariat, lundi 20 décembre 2010, au BRGM à Paris. Cet accord prolonge la collaboration des deux établissements publics dans le domaine du stockage profond des déchets radioactifs, initiée il y a 12 ans. » (Communiqué de presse.)

L’IFPEN : « IFP Énergies nouvelles (IFPEN) est l’ancien Institut français du pétrole (IFP). Créé le 13 juin 1944 comme Institut du pétrole, des carburants et des lubrifiants, il a été renommé en 2010 par la loi Grenelle II qui a également changé son statut. Autrefois organisme professionnel chargé par la loi de la « gestion des intérêts professionnels ou interprofessionnels » (…), il devient un établissement public national à caractère industriel et commercial avec des mission de recherche et de formation. »

Dans le cadre de ces missions de recherche et de formation, l’IFP a signé divers accords avec Total, pour des projets de recherche conjoints avec les laboratoires de recherche et développement du pétrolier. L’IFP s’intéresse notamment au stockage du CO2 en sous-sol, dont on n’a pas fini d’entendre parler. En outre, Total aime l’IFP. La société propose des parrainages « aux étudiants qui souhaitent intégrer l’IFP School et bénéficier pendant la durée de leur scolarité à l’Ecole d’un parrainage de Total. Ce parrainage peut se faire au travers d’une bourse ou par le biais d’un contrat d’apprentissage, moitié à l’IFP, moitié chez Total). » Le montant de ces bourses est de 1200-1450 euros par mois. On peut imaginer l’hostilité sourde que doivent développer les étudiants de l’IFP School envers l’industrie pétrolière.

L’INERIS : « Créé en 1990, l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques) est un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement. »

« GDF SUEZ et l’INERIS ont conclu le 11 mars 2011 un accord de collaboration sur leurs activités de recherche. Signé pour une durée de 5 ans, cet accord vise à renforcer les échanges scientifiques et techniques dans le domaine de la sécurité industrielle liée aux nouvelles énergies : filières hydrogène ; biogaz et méthanisation ; captage, transport et stockage du CO2. » (Communiqué de presse.)

On voit à quel genre d’experts on a affaire. De ceux pour lesquels le sous-sol est soit l’endroit idéal pour cacher ce dont on ne sait plus quoi faire (déchets radioactifs, CO2), soit une vache à lait à exploiter. Ce sont de pures émanations de l’Etat, et leur fonction directe est de donner une caution scientifique aux activités industrielles les plus destructrices. Ce sont également des relais entre les industriels et l’Etat. Ce sont eux qui décideront, en toute indépendance, des lieux et des modalités des forages « expérimentaux ». Après tout ce sont des scientifiques, eux, pas de ces méchantes multinationales assoiffées de bénéfices.

Une fois qu’ils auront commencé à forer, revenir en arrière sera pratiquement impossible, et Total et consorts pourront tranquillement prendre la suite.

Rassurer les inquiets : transparence, consultation, participation Cacher les industriels derrière les scientifiques n’est qu’une première étape. Le rapport insiste aussi fortement sur la nécessité d’informer, c’est-à-dire sur la création d’une « acceptabilité » des GdS. Trois « cibles », comme on dit en termes de com’, sont désignées : le « public », les élus, les associations. On connaît la méthode : elle a déjà été appliquée, avec succès, entre autres pour l’enfouissement des déchets nucléaires.

Pour le public, on peut avoir recours dans un premier temps à une simple information, sous forme de dépliants sur papier glacé, par exemple. C’est le plus simple. Puis des réunions peuvent être organisées, avec buffet et petits fours si possible. On réservera peut-être les petits fours au « public » situé le plus à proximité de forages potentiels…

Il faut ensuite impliquer les élus et les associations.

Le rapport propose la formation de « comités locaux d’information », composés d’élus et de « représentants d’associations de protection de l’environnement ». Il faudra encore en trouver qui soient prêtes à se livrer à cette mascarade, mais il y a de tout, et au besoin on peut aussi en créer de toutes pièces. Ca s’est déjà vu.

Afin de s’assurer la collaboration des élus, le rapport préconise une « révision de la fiscalité pétrolière de sorte que les collectivités locales trouvent un intérêt à une exploitation d’hydrocarbure sur leur territoire ». Et ça, c’est triste, mais ça marche. Il n’y a qu’à voir les jolis centres sportifs autour des centrales nucléaires.

Et à chaque étape, un ballet d’experts tous plus rassurants les uns que les autres répondront en toute transparence aux « inquiétudes de la population ».

On pourra ensuite passer aux consultations. Il est d’ailleurs amusant de voir combien, alors que les « élus du peuple » se sont très représentativement exprimés à l’Assemblée nationale, les rapporteurs mettent leurs espoirs dans une certaine forme de démocratie directe…

Rendre l’opposition inaudible Une fois la caution scientifique et la caution démocratique assurées, le dialogue avec les opposants va pouvoir reprendre, sur des bases plus solides.

Ce sera d’abord : vous vouliez plus de transparence, la transparence est assurée. Voyez, nous dialoguons. Vous êtes consultés, informés. On a même, pour vous faire plaisir, modifié le Code minier : ça n’est pas rien. Vous avez voulu des lois contre l’exploitation, contre la fracturation hydraulique : vous les avez. Et ça sera vrai.

Et aussi : Vous invoquiez le principe de précaution, voyez, nous prenons toutes les précautions. Tout ceci est réalisé sous le plus strict contrôle scientifique : l’Ifpen, le BRGM, l’Ineris sont là. Puisqu’on vous dit que c’est seulement expérimental. Vous voulez qu’on organise encore une réunion ? Un nouveau Grenelle ? A qui doit-on envoyer les invitations ?

Et lorsqu’on aura bien tourné en rond : Mais qu’est-ce que vous voulez à la fin ? Qu’on revienne au moyen-âge ? Et nos emplois, vous y pensez ? Et vous avez vu le prix du pétrole ? Nous n’allons pas ramener le PIB de la France à celui du Mali parce qu’une bande d’écolos n’aiment pas voir des derricks en ramassant leurs champignons. Décidément, on ne peut pas discuter avec vous.

A partir de là, si on est encore quelques-uns à être motivés, ils pourront sereinement nous lâcher leurs chiens à la gorge. Parce que vraiment ils auront fait tout leur possible, de leur côté, question dialogue et concessions.

Et de toute façon, dans « deux ou trois ans », ça sera fait. Expérimentalement ou non, ils auront fait des trous dans la nappe phréatique, auront commencé les fracturations. On pourra alors passer à l’exploitation massive, avec une opposition permanente mais résiduelle, et bientôt institutionnellement intégrée, comme pour le nucléaire. Il y aura beaucoup d’autocollants « Non merci » sur les voitures, et plus de poissons dans les rivières. Et voilà.

*

Ca, c’est leur scénario. Le principe général est explicite : il n’y a qu’à lire. Si nous sommes d’accord là-dessus, si on comprend bien quel jeu joue l’adversaire, la suite risque d’être un (petit) peu plus facile.

Maintenant la question est de savoir comment ne pas se laisser entraîner là-dedans.

Nous sommes quelques-uns à penser que l’étape purement « citoyenne » de l’opposition aux GdS est terminée, et que le recours à la loi est désormais obsolète. Il est assez évident que d’un point de vue démocratique, le dernier mot de cette affaire a été dit : l’Assemblée nationale, de l’extrême gauche à l’extrême droite, est contre l’exploitation des GdS. Elle l’a dit, un projet, puis deux projets, puis trois projets de loi identiques ont été déposés, tous pour nous dire que non, non, non, on ne le fera pas, promis. Le peuple à parlé, par ses représentants. Pourtant, de toute évidence aussi, on va essayer de le faire quand même. Et on nous le dit en face, sans vergogne.

La gestion du nucléaire, entre autres, nous a clairement montré que, dans les affaires énergétiques et industrielles plus encore que dans les autres, une seule politique est menée, celle des intérêts économiques. Ce n’est pas une affaire de gouvernement, de droite ou de gauche, d’écolos ou de fachos. On ne discute pas là des questions de logement, du nombre d’élèves par classe ou de la police de proximité. Ce à quoi nous avons à faire, c’est à l’Etat dans son rapport au capital.

Le message qu’adresse via ce rapport l’Etat aux opposants aux GdS, c’est : Et alors ? Qu’est-ce que vous allez faire, maintenant ?

Qu’est-ce que vous allez faire une fois qu’on aura annulé les permis, que les projets de loi auront été votés, qu’on aura révisé le Code minier et que tout ressemblera légalement à une reculade, alors que vous saurez pertinemment que nous allons le faire, que même nous sommes en train de le faire, à Villeneuve-de-Berg ou ailleurs, simplement parce que nous avons décidé de le faire ?

Quel recours légal aurez-vous contre la loi que vous aurez appelée de vos vœux ?

Si nous restons dans ce cadre-là, nous sommes pris au piège d’un dialogue truqué. Ce n’est même plus une question politique, c’est simplement une question pratique. Si nous jouons ce jeu-là, ils vont s’arranger pour que nous n’ayons plus qu’à nous taire, en nous donnant raison.

Et on va atteindre des sommets de ridicule, quand, comme il est prévisible, les collectifs répondront à l’appel de J. Bové à manifester devant l’Assemblée le 10 mai, pendant que les députés voteront un texte que personne ne conteste, et qu’ils sont même tous pressés de voter, pour bien nous entortiller dedans… On ne sait vraiment plus quoi faire pour nous occuper.

C. Jacob, qui a déposé un des projets de loi qui doivent être examinés le 10 mai, le dit clairement : « En l’état actuel des connaissances scientifiques, notre responsabilité est d’être d’une extrême prudence. Si, à l’avenir, on nous démontre, par une évaluation des risques, que la loi d’interdiction générale mérite des évolutions, nous en discuterons » (Les Echos). Traduction : on va vous voter votre loi, comme ça vous n’aurez plus rien à dire, et on pourra travailler en paix.

Un vieux briscard de la politique comme J. Bové ne peut pas ne pas voir ça. Alors pourquoi vouloir nous balader à Paris, face à l’Assemblée nationale ? Il nous dit : « Le peuple doit être devant l’Assemblée pour que les élus tiennent promesse. » Mais quand c’est justement en respectant leurs promesses qu’ils nous entourloupent, les élus ? Qu’est-ce qu’on fait ?

Et M. Rivasi, à la publication du rapport : « Les experts ont beau dire ce qu’ils veulent, maintenant c’est une décision politique qu’il faut prendre. » Elle ne voit pas, elle, que ce rapport est tout à fait politique, justement ? Et que c’est justement la décision politique qui va nous prendre au piège, comme des rats ?

Aveuglement, égarement ? Ou simple refus de voir et de dire quelles sont les limites du mode d’action choisi ? Mais si le mode d’action ne correspond pas ou plus au résultat recherché, pourquoi le conserver ?

Il semble évident que les raisons sont d’ordre purement politique. Il ne faut pas « détourner le peuple de la démocratie », comme ils disent. Lui montrer que s’il sait comment les prendre, il peut mettre les institutions à son service, etc. Faire en sorte qu’ils retournent quand même voter, la prochaine fois. Parce qu’on a peur de ce qui pourrait se produire si des masses de gens perdaient d’un coup tout espoir dans ce qu’ils appellent la politique.

On connaît la chanson, et à vrai dire on s’en fout un peu. Sauf que dans l’état actuel des choses, c’est non seulement contre-productif, mais criminel. Parce que c’est comme ça que les forages vont avoir lieu. Parce que ces manœuvres politiciennes vont aboutir à laisser faire des trous dans les nappes phréatiques. Parce que ces plaisanteries vont nous tuer encore un petit peu plus.

Il faut sortir de ce schéma, qui nous prend au piège de nos contradictions. On ne lutte pas contre la loi avec une autre loi. Ceux qui les font, les lois, sauront toujours s’arranger pour nous mener là où ils veulent. Les lois ne sont pas faites pour nous, mais contre nous. Qui croit le contraire est soit un bourgeois, soit un naïf.

Il y a un proverbe qui dit : « Qui veut déjeuner avec le Diable doit se munir d’une longue cuillère. » Il semblerait aussi qu’à force de déjeuner avec le Diable, les cuillères de certains se raccourcissent de jour en jour…

*

Il nous faut maintenant cesser le dialogue avec les institutions, puisqu’il est évident désormais que ce dialogue n’est qu’un jeu de dupe où ce sont toujours les mêmes qui trient et ramassent les cartes. Il nous faut commencer à jouer selon d’autres règles.

Cesser le dialogue avec les institutions, c’est forcément aussi à un moment ou un autre sortir de la légalité. Il y a bien des façons de s’écarter de la légalité, qui ne sont pas forcément « violentes », et qui ne se paient pas plus cher que quelques heures dans un poste de police, au pire. On n’est pas obligés d’en venir tout de suite au lance-roquettes. Ce qui, soit dit en passant, serait, sur un puits de gaz, une très mauvaise idée.

Ont été citées dans ce texte quelques institutions qui possèdent des bureaux, des locaux, des sièges que l’on peut investir, occuper quelques heures, histoire de balancer un coup de projecteur sur ce qu’ils sont. Ils n’apprécieraient pas forcément de se voir ainsi désignés. Ces animaux-là n’aiment pas la lumière. Il y a aussi les ministères, les sociétés pétrolières, GDF, etc. Ca s’est déjà fait, il faudrait continuer.

Il nous faut aussi être clairs avec les futures « consultations publiques », c’est-à-dire les boycotter purement et simplement, voire empêcher qu’elles se tiennent, et dire pourquoi. Et ce même si elles sont organisées en toute transparence républicaine par « nos élus ». Si nous acceptons le « dialogue » en participant à une de ces prévisibles mascarades démocratiques, ou simplement en les tolérant, nous n’existons plus en tant qu’opposants, nous devenons des « partenaires ».

Nous associer aux décisions, cela fait partie de leur stratégie. Déjouer cette stratégie passe par le refus du dialogue.

Refuser aussi le chantage aux « propositions alternatives ». Parler « experts contre experts », c’est s’enfermer dans des débats techniques stériles et sans issue. Personne de sérieux ne peut croire qu’on va se sortir du fameux « problème énergétique » par des économies d’énergie. La question qui se pose pour le capital n’est pas comment produire et consommer moins d’énergie, mais comment en vendre toujours plus. Et les GdS le montrent clairement. Nous dirons « éoliennes », et ils diront : D’accord, on s’en occupe. Et ce sera des kilomètres carrés d’éoliennes. Avec des forages de GdS entre les rangs, un réacteur EPR au milieu, et des murs de panneaux solaires tout autour. Nous n’avons pas à résoudre leurs problèmes de perspectives et de débouchés. Parce que si on s’y colle, on va finir nous aussi par rédiger des « rapports préliminaires » et les apporter au ministère. Sous l’Ancien régime, les « propositions alternatives », on appelait ça des cahiers de doléances… Ca a marché un certain temps…

*

Tout le monde ne sera pas d’accord avec ces positions. Beaucoup persisteront dans la voie « citoyenne », par respect de la loi, sympathie pour J. Bové, croyance en la politique et en la démocratie, souci de respectabilité, habitudes « militantes », peur de l’aventurisme ou pour toute autre raison.

Moins de six mois après le début de la contestation organisée contre l’exploitation des GdS, il semble déjà y avoir quelque chose comme une opposition « officielle ». Ce qui avait inquiété l’Etat au début de la mobilisation, à savoir son caractère populaire et donc imprévisible, est en train de s’étioler. Ca se bureaucratise. Il y a des colères qui se perdent. On parle d’un nouveau Larzac, puis on retourne au Parlement européen. On fait mollement des réunions d’information où on n’ose trop rien dire, de peur que ça ne soit pas dans la ligne…

Et après tout, si ça pouvait se régler comme ça, pourquoi pas ? Tant que ça marche… Mais la question est que non seulement ça ne marche pas, mais que l’Etat est en train de retourner ses propres armes contre la contestation. Qu’encore une fois ils vont faire servir la loi contre les GdS à l’acceptation des GdS. Créer des réglementations qui feront accepter ce qu’on règlemente, alors qu’on n’en voulait tout simplement pas. Et ainsi de suite : on connaît la chanson. C’est celle du Grenelle, du développement durable, du partenariat et de la cogestion sous toutes ses formes…

Et pendant ce temps-là, les gens qui étaient au départ en colère n’y comprennent plus rien, se demandent, ah, on nous dit qu’on a gagné, et après le contraire, est-ce qu’on doit s’énerver ou pas, c’est compliqué, qui a raison, qui a tort, ainsi de suite. Et on va revoter, faire appel, chercher des recours au niveau européen peut-être, la cour constitutionnelle pourquoi pas, le pape enfin, les Saints du Paradis. Et l’horizon 2012… On complique. On fatigue le monde. On démobilise mieux qu’un bataillon de CRS.

Mais nous, on s’en fout, des réglementations, du Code minier, de l’alinéa du paragraphe untel de telle directive. Nous, on veut garder les rivières, ou ce qu’il en reste. On veut des insectes et des animaux, parce que si tout ça disparaît, on va disparaître avec. On veut vivre sans se dire à chaque instant qu’il y a de moins en moins de vie possible. Et ça ne concerne bien sûr pas que les GdS.

On sait aussi qu’eux, ceux de l’Etat et du capital, ils s’en foutent, de tout ça : ce qui les préoccupe, ce sont leurs postes, leurs actions, leurs perspectives de croissance. Leur croissance nous rabougrit. Ils nous pompent l’air, et l’eau, et le temps qui nous reste à vivre. Tout ce qu’ils veulent, c’est que ça continue sans cesse. Durable, leur développement. Pourvu que ça dure.