Pour des états généraux sur la formation générale au collégial

Appel en faveur d’états généraux

Un manifeste pour la formation générale au collégial

La formation générale, ça sert à quoi ?

Si l’on entend encore trop souvent cette question, c’est sans doute parce que les préjugés persistants à son égard n’ont pas été démentis de façon convaincante. Le dépôt final du rapport Demers en juin 2014 a par ailleurs contribué à fausser le jugement qu’on porte sur la formation générale, puisqu’il laisse entendre qu’elle doit subir une transformation substantielle sous prétexte qu’elle est « demeurée sensiblement la même depuis la fondation des cégeps, soit depuis près de cinquante ans». Or, les suggestions du rapport Demers concernant la formation générale s’appuient essentiellement sur un avis publié en avril 2014 par le Conseil supérieur de l’éducation, lui-même s’établissant sur une étude controversée de 1995 (1). Envisage-t-on sérieusement de procéder à d’importants changements sur la base d’informations déphasées qui datent de plus de 20 ans sans plus de consultations ou de recherches sérieuses sur la question ?

La perspective que s’amorce une entreprise de rénovation de l’offre de cours a déjà généré plusieurs prises de position. Ainsi, aux yeux de certains, une actualisation de la formation générale donnée dans les cégeps serait souhaitable afin qu’elle réponde plus adéquatement aux exigences du marché de l’emploi, voire aux réalités du monde d’aujourd’hui. Il est aussi soulevé qu’une diversification de l’offre de cours serait susceptible de mieux convenir aux intérêts des élèves parce que le sens même de la formation générale leur échapperait. D’autres encore suggèrent un modèle où la proposition de cours de formation générale s’ajusterait en fonction du programme d’études de l’élève. Plusieurs institutions d’enseignement collégial aux prises avec des enjeux liés à la lutte au décrochage souhaitent également mieux répondre aux besoins des élèves qui éprouvent des difficultés d'adaptation et d'apprentissage. On veut par conséquent renouveler la carte des cours afin qu’ils stimulent davantage l’intérêt, l’engagement et la persévérance. Pour d’autres, les cours actuels de littérature, de philosophie, d’anglais et d’éducation physique « assure[nt] l’acquisition d’un bagage culturel indispensable à l’exercice des divers rôles de travailleurs et de citoyens » de même qu’ils participent « à l’éducation de citoyens autonomes, instruits et capables d’esprit critique (2). » Par le fait même, on dénonce le clientélisme qui se profile derrière les propositions de modifications de l’offre de cours. Celle-ci ne devrait pas uniquement viser à former de bons travailleurs capables de réussir dans leur domaine professionnel, mais également « des citoyens lettrés, justes, qui affrontent les problèmes et participent aux institutions politiques d’une société qui ne se réduit pas à l’économie (3). » En matière d’éducation, la formation générale n’incarne-t-elle pas la spécificité de nos cégeps par rapport aux structures d’enseignement supérieur des autres pays ?

Ainsi, en raison de la multitude des conceptions du rôle qu’occupe la formation générale collégiale et de l’éparpillement des propositions de changements, nous croyons fermement qu’il est temps de convenir à nouveau de ses finalités éducatives et nous APPELONS DES ÉTATS GÉNÉRAUX sur la question.

Nous nous engageons à prendre la défense de la formation générale au collégial, car nous lui reconnaissons la capacité d’assurer le développement d’habiletés génériques fondamentales ainsi que la transmission d’un fonds culturel commun, tous deux nécessaires à la cohésion minimale de notre société. C’est pourquoi :

- Nous nous opposons fermement à la mise en oeuvre précipitée de transformations de la formation générale;

- Nous refusons que l’avenir de la formation générale soit décidé en catimini et ensuite imposé à la population collégiale;

- Nous exigeons que le Ministère organise une consultation publique et transparente, convoquant tous les groupes concernés à une réflexion collective;

- Nous réclamons que la valeur des cours de formation générale soit reconnue, puisqu’ils :

  • forment des personnes aptes à vivre de façon responsable les principaux défis que posent les sociétés actuelles par la CONSCIENCE HISTORIQUE, ÉTHIQUE, POLITIQUE et le JUGEMENT CRITIQUE qu’ils développent;
  • génèrent un esprit de curiosité par l’établissement d’une solide CULTURE GÉNÉRALE et d’une APPÉTENCE POUR LA LECTURE;
  • favorisent une collaboration efficace avec les autres par la MAÎTRISE DE LA LANGUE à laquelle ils conduisent;
  • contribuent à la capacité à faire des choix propices dans le présent et dans le futur, par la PRISE DE CONSCIENCE DES ENJEUX LIÉS À LA SANTÉ qu’ils assurent.

Nous, étudiantes, étudiants, enseignantes, enseignants, professionnelles, professionnels, employées de soutien, employés de soutien et gestionnaires de tous les collèges et universités du Québec, nous, citoyennes, citoyens, signons cette lettre et demandons au gouvernement d’organiser des états généraux sur la formation générale au collégial, avant de procéder à quelque changement que ce soit, afin de permettre la tenue d’un authentique débat ouvert sur la question.

 

 1 CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION. Des conditions de réussite au collégial. Réflexion à partir de points de vue étudiants. Québec, QC : Gouvernement du Québec, 1995.

2 Thierry Karsenti, Quelle est la pertinence de la formation générale au collégial ?, Montréal : CRIFPE, 2015, p. 15.

3 Collectif composé de professeurs du département de philosophie du Cégep de Saint-Hyacinthe, « Lettre ouverte au ministre François Blais à propos de la formation générale au CÉGEP », Saint-Hyacinthe, Journal mobiles, 29 septembre 2015, p.1.