Pétition unitaire Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE)
Nanti? |
/ #3147 Classes prépa : lettre d'un nanti de l'Education Nationale à son ministre2013-12-12 02:44Classes prépa : lettre d'un nanti de l'Education Nationale à son ministre LE CERCLE. La grève des professeurs de prépa a été largement suivie lundi 9 décembre. Le projet de réforme risque de réduire les rémunération et augmenter le nombre d'heures de cours. C'est totalement inacceptable pour des enseignants qui consacrent beaucoup de leur temps personnel à leurs étudiants. Lettre ouverte d'un professeur de Toulouse à son ministre de l'éducation. http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/societe/education/221186438/classes-prepa-lettre-dun-nanti-leducation-nationale-a-m ÉCRIT PAR Jean-Noël Mialet Professeur en CPGE Lycée Pierre de Fermat, TOULOUSE Monsieur Peillon, j’ai 47 ans, j’ai toujours aimé l’ombre, merci déjà de me pousser à en sortir, j’apprécie votre sens de la pédagogie. J’ai souvent laissé parler les autres, j’ai écrit pour certains de vos collègues en leur laissant apposer leur nom au bas de la page, ou le soin de lire ce que j’avais écrit. Merci encore de me donner l’occasion de signer l’un de mes textes. Il faut un début à tout. Après une scolarité débutée à Toulouse, j’ai eu la chance d’intégrer Louis-Le-Grand, temple de l’élitisme républicain que vous devriez vraiment songer à brûler. C’est là que j’ai commencé à mal tourner. Cinq années à « LLG » et j’ai intégré l’Ecole Normale Supérieure de Cachan. Vous devriez vraiment faire quelque chose à ce sujet également, ces Ecoles Normales Supérieures forment des élites auto-reproductrices. Puis ce fut l’engrenage. Emporté par des pulsions datant de l’adolescence, j’ai décidé de servir l’Etat. D’abord en tant qu’enseignant-chercheur à l’Ecole des Mines de Paris. Pardon de vous faire modestement des suggestions, mais là encore il faudrait prendre conscience que cet établissement est dangereux, on y forme des ingénieurs, qui plus est parmi les meilleurs. Puis, après quelques années, retour à la maison où j’ai enseigné en lycée puis, je l’avoue, en classe préparatoire. Les sirènes de l’exception et de l’inégalité m’avaient assourdi, en réveillant le nanti qui sommeillait en moi. Je viens de le réaliser grâce à vous, MERCI. Décrivons un peu mon épouvantable crime. 50, 60, 70 heures ? Franchement je ne sais pas combien d’heures je travaille par semaine. Allez, faites-moi la grâce de n’en compter que 50 pour atténuer ma faute. Mais c’est un fait, je n’ai jamais compté. Pas plus que je n’ai compté les milliers d’heures que j’ai données bénévolement aux élèves. A Louis-Le-Grand tout d’abord, où l’une de mes professeurs m’a accordé sa confiance en m'attribuant des khôlles dans sa classe dès mon entrée à l’ENS. Et où j’ai partagé ma passion et mon plaisir avec des intelligences qui m’ont émerveillé et qui avaient une soif intarissable d’apprendre. En leur donnant mes mercredis après-midi, certains de mes week-end, en restant avec certains à « faire des maths » jusqu’à une heure avancée de la nuit, à leur demande je précise. Un jeune agrégatif puis un jeune Agrégé fougueux heureux de partager ses connaissances et de communiquer sa passion, avec d’encore plus jeunes élèves qui en demandaient toujours plus, ça ne pouvait que mal se passer. Joël Los, Dimitri Zvonkine, Cédric Villani, Karol Borejsza, Jean-François Tu, Emmanuel Breuillard, et tant d’autres, si vous lisez un jour cette lettre, du fond du cœur un grand et vrai merci pour ces moments de partage que j’ai eus avec vous. C’est avec le même plaisir que je n’ai pas compté dans le célèbre « neuf-trois » où je suis resté plus de dix ans. Des classes préparatoires qui coûtent très cher car les classes sont moins chargées. Tout ça pour permettre à des jeunes gens sortis des cités de Montreuil ou de Bondy de rejoindre une caste de privilégiés, la Nation doit-elle vraiment couvrir de tels agissements ? Alors que le privé s’en chargerait si bien ? Monsieur le Ministre, vous devriez vraiment songer à fermer ces classes qui coûtent si cher. Et c’est toujours avec le même plaisir que j’essaye d’accomplir ma tâche dans cette grande et noble maison du centre-ville de la ville rose, face à des Jacobins à qui je rends en plus hommage ce faisant. Mea culpa. Je suis un pur produit de l’enseignement public et je n’ai vécu que pour lui. J’ai toujours offert du temps, le plus que je pouvais, à mes élèves, les malheurs de ma vie privée ne sont pas les seuls responsables de cet engagement. Je reprenais mes cours deux semaines après une biopsie cérébrale quand la maladie m’a touché. J’assurais tous mes cours entre mes séances de chimiothérapie ; grâce à des médecins ont tout fait pour satisfaire ce que j’avais dégagé comme priorité, mon TRAVAIL. J’ai toujours donné des heures bénévolement, le mercredi, pendant mes vacances. Mes khôlles, payées une heure je vous rassure, en durent souvent trois. Mes élèves peuvent me joindre, et ne s’en privent pas, quand ils le souhaitent. Et en tout cela, je ne suis pas différent de tous mes collègues de classe préparatoire, ils se reconnaîtront tous dans cet investissement, dans cet engagement total au service de leurs élèves. Mes élèves peuvent me contacter en journée, le soir, ou même la nuit, avec ma bénédiction. Pour « faire des maths » ou pour me confier des choses plus personnelles, scolaires ou non. J’essaye de les accompagner aussi totalement qu’ils en ont besoin pendant toute une année, et cela ne s’arrête ni aux heures de mon ORS, ni aux mathématiques. Le travail que nous leur demandons et le privilège que nous avons d’enseigner à un tel public exigent des contreparties de notre part, et nous répondons présent. Mea maxima culpa, je ne recommencerai pas, j’espère que vous saurez un jour me pardonner puisque visiblement je vous ai offensé au point que vous vouliez me sanctionner. Oui, Monsieur le Ministre, je suis un privilégié, et j’en suis conscient. Mais pas pour les raisons que vous invoquez. Je suis un privilégié de pouvoir avoir cette qualité de contact avec ceux auxquels je dis à chaque rentrée qu’ils deviennent MES élèves. Je suis un privilégié d’avoir en face de moi des jeunes gens qui ont choisi d’être là et qui savent pourquoi ils sont là, qui savent ce qu’ils veulent, et aussi ce à quoi ils veulent ainsi échapper. Monsieur le Ministre, je n’ai jamais rien demandé, ni même simplement attendu de vous ni de vos prédécesseurs. La reconnaissance de la Nation s’est toujours limitée pour moi à celle de mes élèves, anciens élèves, et de leurs parents. Mais jamais, Monsieur le Ministre, jamais je n’aurais imaginé que la Nation, à travers vos actes et vos propos, ne me crache un jour cette vocation à la figure. Je vis la situation actuelle comme une humiliation, et je suis loin d’être le seul. Le travail que nous faisons tous, comme tout travail, ne peut supporter le mépris que vous nous renvoyez. Commençons, chose normale pour un nanti, par les questions d’argent. Le « profiteur du système », je cite les paroles prononcées ce jour et rapportées par l’un de nos syndicats, que je suis ne pouvait pas ne pas en parler. 15% hier, 10% aujourd’hui, je devrais sûrement vous remercier, voilà ce que vous me proposez comme perte. Alors certes, je gagne bien ma vie. Il me suffira de moins consommer. Et puis en bon profiteur, je saurai compenser. En remerciant la femme de ménage qui m’aide depuis que, suite à la maladie, je suis handicapé. En complétant cette perte, si elle s’avérait vraiment trop lourde, par des heures de khôlle supplémentaires, khôlles que j’apprendrai à faire en une heure. Tout en étant conscient également que mes élèves, de futurs financiers que vous devriez songer à pendre haut et court, mettent en moyenne cinq ans à gagner plus que moi. Nous savons tous dans quel état financier se trouve notre pays, et je suis le premier à admettre que nous devons tous faire un effort, TOUS. Mais Monsieur le Ministre, une baisse de salaire de 15%, ou même de 10%, c’est inédit en France dans la fonction publique depuis la crise de 1929. Et là TOUS avaient consenti un tel effort, pas seulement 8000 membres d’une prétendue caste. Le peuple approuve, les nantis seront sanctionnés, la masse ne nous soutiendra pas, vous jouez sur du velours. Mais que les fonctionnaires qui se réjouissent d’avance en profitent bien ! Après des ex-nantis, il y aura d’autres nantis, de nouveaux nantis, dont il faudra alors mettre les têtes sur des piques. Quel fonctionnaire accepterait sans sourciller un pourcentage de baisse aussi important de son salaire ? Alors pour finir sur le sujet, OUI. Oui, je suis pleinement d’accord pour faire un effort, mais pas pour être montré du doigt. Et encore moins pour en accepter un aussi violent sans broncher, et en me faisant qui plus est insulter. De préférence tant qu’à faire en continuant, en bon soldat de la République, à en faire le maximum, et même davantage. Ce n’est même plus le niveau zéro, vous êtes perdu, Monsieur le Ministre, dans les catacombes de la gestion des ressources humaines. Mais là n’est même pas le principal. Vous n’avez jamais caché votre aversion pour le système des classes préparatoires et des grandes écoles. Des textes de vous datant d’il y a quelques années refleurissent. Une exception française honteuse. Exception que, soit dit en passant, certains pays étrangers et non des moindres, sont en train de reproduire, la Chine en tête. Mais admettons, et j’en reviens au début de ma lettre. Il était temps ! Temps d’essayer enfin de laisser libre-cours à cette idéologie égalitaire que vous prônez. En attaquant de front les classes préparatoires, la motivation des privilégiés comme moi qui y enseignent, et les grandes écoles par le biais de la réforme de la taxe d’apprentissage, vous avez au moins le mérite d’avoir tombé les masques. Les idéologues sont bien au rendez-vous, et ce qui me fait le plus mal est peut-être que parmi eux il y en a un que j’ai personnellement contribué à former, sur les bancs du Lycée Louis-Le-Grand, avant qu’il n’intègre l’Ecole Normale Supérieure. Oui Monsieur le Ministre, vous avez raison. Il était temps de s’attaquer à l’un des derniers bastions de l’enseignement français qui fonctionne encore à peu près. Vous devriez aussi supprimer l’ENA, l’Ecole Polytechnique. Vous avez raison d'essayer d’empêcher des jeunes gens de viser l’excellence, et leurs parents, parmi lesquels figurent en plus nombre de gens qui vous entourent, de les y pousser. Vous avez raison de ne même pas daigner recevoir nos représentants idiots qui vous feraient perdre un temps précieux dans d’inutiles palabres. C’est le point commun entre la dictature et l’idéologie, inutile de discuter avec les gens concernés puisque vous avez toujours raison. Vous avez encore raison de vous mettre à dos votre base avec une réforme, et aussi l’une de vos élites avec une autre. Vous avez surtout raison de chercher à détruire cet élitisme républicain, cette méritocratie basée sur le talent et sur l’effort qu’une République trop longtemps inconsciente et aveugle a instaurés. Jules Ferry et les autres seront d’accord. Vous avez raison sur tout. Pardon pour toutes les fautes épouvantables que mes collègues et moi avons commises. Merci de nous sortir de la grotte et de nous guider vers la lumière. Bravo enfin pour avoir réussi en une seule semaine à faire vaciller cette flamme que j’ai en moi depuis plus de 30 ans. Je ne sais pas grand-chose, Monsieur le Ministre, il est grand temps de me renvoyer à l’Université. Je sais juste une chose. Ce mépris que vous nous envoyez est un boomerang, la vie est ainsi faite, il reviendra un jour jusqu’à vous. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de… Eh bien de rien du tout, comme ça nous pouvons dire que nous sommes quittes sur le coup. |
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